Dans le Nord, près de mon village, j'avais une tante qui s'appelait Raymonde. Tante Ray, c'est comme ça qu'on l'a surnommait. Elle aimait jouer au tarot, notamment avec mon frère David et surtout sa femme, Danielle, qui était une inconditionnelle de tarot. Lors de son mariage, ses parents avaient même fait, pour la deuxième journée de la cérémonie, celle où on finit les restes, aménagé tout le sous-sol du colonel. Car son père, à ma belle-sœur, était colonel. Il s’appelait Gamin et sa femme on ne l’appelait pas Madame Gamin, mais Madame-la-colonel. Ma mère disait qu’elle était encore plus colonel que son mari. C’était Madame-la-colonel. Et Madame-la-colonel avait demandé à toutes les femmes invitées au mariage de mettre des robes longues. Des robes qui cachaient même les pieds. Tante Ray avait alors confectionné pour mémé Irène, pour ma mère, ainsi que ses belles-filles des robes longues, car c’était une couturière hors pair, et moi, durant la soirée, j’avais dansé le twist avec mon frère Noël, mon frère Noël qui dansait aussi bien le twist que des rocks, du jerk ou du disco, avec sa femme Annick Dubus. Ils habitaient à Villeneuve-d’Ascq et avaient une 4L verte. Ma mère aussi avait une 4L, mais blanche, puis elle a eu une R5, tandis que mon frère Noël, avec qui, enfant je faisais la prière le soir et qui m’appelait Toto, Toto durant la prière, tandis que je le surnommais Nono, a gardé très longtemps sa 4L de couleur verte. Je me souviens de mon père à ce mariage qui restait un peu stoïque dans son costume trois-pièces, comme lors du mariage de mon autre frère, Réginald. On peut, d’ailleurs, l’apercevoir sur les marches de l’église en posture très droite mais le visage perdu. Il n’était jamais à son affaire dans les rencontres familiales, mon père. Il préférait de loin être dans son jardin. Mon père avait donc cette sœur, Raymonde, tante Ray, comme on l’appelait, la femme du colombophile, aussi, disait ma mère, qui n’aimait pas ce « sale mec ». Elle n’aimait pas les hommes qui avaient du tempérament et une voix qui porte. Ma mère préférait de loin son mari dans la lune ou les hommes mariés à ses sœurs, comme les deux tonton Henri ou, à la rigueur, tonton Jean qui conduisait lui-même sa voiture, mais ça n’en faisait pas pour autant un danger pour elle, car il buvait trop. Le frère de ma mère, Gérard, par contre, était un gai luron. Il venait avec sa petite voiture sportive et son air jovial à la maison. Il faisait toujours des farces et aimait faire des sketches avec sa sœur, tante Francine, notamment le sketch de pépé Clotaire qui élevait un enfant attardé et qui jouait au train. C’était très drôle et tout le monde riait chez tante Charlotte, une autre sœur de ma mère. Toute la famille se réunissait assez souvent, on faisait des fêtes, on chantait, on riait, on dansait et Henri-Paul, mon cousin, le fils de tonton Paul, qui avait un motoculteur pour tout le village, et moi-même, nous nous déguisons en femmes et tonton Gérard et tonton Aimé dansaient avec nous et nous pelotaient les seins en dansant sur Carlos. On riait beaucoup, on jouait aux boules sur des cailloux blancs, ceux de tonton Aimé, dont la femme était devenue chauve et qui avait fait croire à Jean-Marie, mon beau-frère, que c’était de la pelouse et qu’il pouvait camper dessus. Jean-Marie l’a cru et il est venu avec ma sœur Valérie planter sa tante sur la pelouse de cailloux blancs. Il y avait aussi mon cousin Didier qui était motard et qui n’aimait pas qu’on le lance dans le fleuve car il était allergique à l’eau. Il est mort ensuite à vingt-deux ans dans la centrale de Tricastin. Le cercueil a été retourné aux parents, il était plombé, personne pouvait regarder le cadavre, sa mère, tante Francine et son mari tonton Henri, n’ont plus jamais parlé à personne. Heureusement il y avait Brigitte, avec son mari qu’on appelait l’Espagnol, elle était bien énergique Brigitte et elle passait voir ses parents avec son mari l’Espagnol dans leur village à Bouchin. Jean-Marie avait ses vieux parents à Escarmin. Annick et son mari Nono habitaient Lesquin. Ma tante Marthe a connu un autre homme à Thun-Saint-Martin. Et moi j’étais très amoureux d’une fille qui habitait Vendegie-sur-Estrun. Je lui écrivais des poèmes à la Thiéfaine et j’organisais des boums pour qu’elle vienne dans mon village mais elle n’est pas venue. Trois ans plus tard, je l’ai revue à une fête des anciens élèves, elle avait un œil en moins et je n’ai pas su quoi lui dire. Je suis reparti dans la R5 de ma mère avec mon père, mon frère Réginald et ma belle-sœur Michèle dont la mère habitait Malakoff et qui faisait de la salade avec de la sauce à la moutarde. Michèle aimait les chansons de Jacques Brel et son mari lisait SAS. Ils étaient tous les deux professeurs des collèges et enseignaient dans une école catholique à Djibouti. Il y avait toujours des bonnes-sœurs autour d’eux et ils m’avaient offert un double album de Joan Baez que je n’ai jamais écouté. Raymonde aimait le Boléro de Ravel. Elle adorait aussi Joan Baez et aimait me faire écouter la bande originale du film Jonathan Livington le goëland. Michèle avait une longère à Blainville qui appartenait à sa famille, on y allait tous en vacances et mon frère retapait les volets au chalumeau. C'était un hameau près de Dreux et dans les toilettes il y avait plein de bandes dessinées de Fred et de F’murr. Parfois je partais me promener avec mon walkman sur les oreilles, prétextant visiter les environs. Mon frère me suivait. Il avait vu que j’avais posté une lettre à la fille de Vendegie-sur-Estrun. Il l’avait dit devant moi à ma mère qui voulait qu’il aille récupérer la lettre dans la boîte de la poste. La nuit, je l’imaginais aller récupérer cette lettre d’amour pour la faire lire à ma mère et ma belle-sœur. Un jour, ma mère m’a ainsi remis un paquet de poèmes qu’elle avait trouvé dans ma chambre et m'a demandé innocemment ce qu’il fallait en faire. Je lui ai dit qu’elle pouvait les jeter. Je vivais ainsi caché dans ma poésie.
Texte : « Caché dans ma poésie », Charles Pennequin, prose poétique, 2024.
Illustration : Khalid EL Morabethi.
Pour découvrir plus de textes de Charles Pennequin, rendez-vous sur les pages du premier numéro de Peau Electrique en version papier.
Pour découvrir les dessins de Khalid EL Morabethi, rendez-vous sur notre site, dans la section « L'Univers visuel ».
Charles Pennequin, né le 15 novembre 1965 à Cambrai, est un écrivain et poète français connu pour ses lectures-performances et qui réalise également nombre de dessins et de vidéos. C'est un poète qui porte et partage sa poésie sur scène. En novembre 2012, il est le premier récipiendaire du Prix du Zorba.
Début septembre 2023, Charles Pennequin reçoit le prix international de littérature Bernard Heidsieck lors du festival de la littérature vivante Extra! se déroulant au Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou.
Bibliographie :
Chez P.O.L
Petite bande (2023)
Dehors Jésus (2022) | vidéolecture
Père ancien (2020) | vidéolecture
Gabineau-les-bobines (2018) | vidéolecture
Les Exozomes (2016) | vidéolecture
Pamphlet contre la mort (2012) | vidéolecture
Comprendre la vie (2010) | vidéolecture
La ville est un trou (2007) | son | vidéolecture
Mon binôme (2004)
bibi (2002) | vidéolecture
Chez d'autres éditeurs
Alain Véron, le temps d’un assassin, édition personnelle, 1995.
Le Père ce matin, éditions Carte Blanche, 1997.
Ça va chauffer, Derrière la Salle de Bains, 1998.
Moins ça va, plus ça vient, Le Jardin Ouvrier, 1999.
Facial, Éditions Facial, 1999.
Dedans, Al Dante, 1999.
Je crache, Poésie Express, 2000.
Patate, album avec un CD intitulé 1 jour, Éditions Le Jour, Pascal Doury, 2000.
1 jour , livre, Derrière la Salle de Bains, 2001.
Bobines, CD de poèmes, Studio Croix des Landes, La Bazoge (72), 2001.
Lettre à J.S., Al Dante, 2001.
Écrans, Éditions Voix/Richard Meïer, Collection vent contraires, 2002.
Secret2, avec Antoine Dufeu, Merh, 2002.
Bine, Éditions Ikko/Le Corridor, 2003.
Bibine, Éditions de l’Attente, 2003.
Merci de votre visite, dessins de Charles pennequin, Éditions Mix, 2003.
Je me Jette, avec le DVD intitulé Jemejette, Al Dante, 2004.
Les Doigts, Ragage, 2006.
Entravés, L’Instant T, hors série, 2006.
Aoum & miam, Dernier télégramme, 2006.
Lambiner, Dernier Télégramme, janvier 2007.
T’es foutu Charles Pennequin, DVD, La plate forme Dunkerque, 2007.
Moins ça va, plus ça vient, réédition par le Dernier Télégramme, 2008.
Poèmes à mes petites putains, l’Âne qui butine, 2008.
Tué mon amour, CD avec Jean-François Pauvros, 2008.
Pas de tombeau pour Mesrine, Al Dante, 2008.
Tromaganda, le Dernier Cri, 2008.
La vie ça vaut queue d’chie, Les Editions du soir au matin, 2010.
Grumeaux numéro un.2 (dessins), Revue Grumeaux, 2010.
Trou Type (Catalogue Dominique De Beir, accompagné d’un CD), Friville, 2010.
La fin des poux, les éditions de l’Âne qui butine, 2011.
Troue la bouche, (accompagné d’un DVD) Editions Douche froide, 2011.
Loupé, Atelier de Groutel, Jacques Renou, 2011.
Droit au mur, le Dernier cri, 2011.
Charles Pennequin chez les martiens, Bookleg, Maelström, 2012.
Au ras des pâquerettes, Dernier Télégramme, 2012.
Ecluse de Kembs / Niffer, Al Dante, 2012.
Les chiens de la casse, disque vinyle, Frac Franche-Comté, 2012.
Mange ce que tu dis, La Belle époque, 2012.
Foutu pour foutu, le Carré, 2013, (en collaboration avec Daniel Nadaud).
Un gros bruit, avec Daniel Nadaud, édition La Belle époque, 2013.
Mots croisés, K7 sonore, la cohu 2013.
Alias Jacques Bonhomme, avec Jacques Sivan, Al Dante, 2014.
Comme un des mortels, avec Nat Yot, Editions Maelstrom, 2014.
Charles Péguy dans nos lignes, Atelier de l’Agneau, 2014.
Marasme, avec Francis Deschodt, Editions La Belle époque, 2015.
Bibi Konspire, disque vinyle, Label Rebelle, 2015.
Causer la France en public, CD avec JF Pauvros, CdL la Bazoge éditions, 2015.
Ce fut un plaisir, Cantos Propaganda productions, 2016.
Tennis de table, Plaine page, 2016.
Armée noire tome 2, Editions de l’armée noire, 2016.
Poèmes collé dans la tête, Cantos propaganda productions, 2017.
Le Martien, Lenka lente, 2020.
Mange-bête, l’Âne qui butine, 2021.
Les Voix du venir, Aux Cailloux des chemins, 2021.
Expositions de dessins et videos
2004 : Galerie Jean-François Meyer à Marseille
2005 : Galerie du Triangle, Rennes
2006 : La Cerisaie à Lectoure, 22 juillet 2006
2006 : Librairie Solstice, Lille, avec Cécile Richard
2008 : Al Dante, Limoges, avec Cécile Richard
2009 : Librairie « la mauvaise réputation », à Bordeaux, avec Cécile Richard
2011 : Les Bains-douches, Alençon
2011 : Trombina binettes, Galerie Limitis, Paris
2012 : Expo collective Armée noire, galerie Une poussière dans l’oeil, Villeneuve d’Ascq
2016 : St Céneri-le-Gérei
Exposition de dessins et de textes de Charles Pennequin dans la ville de Château-Gontier, ainsi qu’à la médiathèque et à la piscine de la ville, suite à la résidence de l’auteur au Carré à Château-Gontier durant l’année 2021.
Travail radiophonique
2007 : Dichte, avec Jean-François Pauvros et Yvan Étienne. France Culture / perspectives contemporaines.
2011 : Atelier de création radiophonique intitulé Causer la France. Réalisation Anna Szmuck.
2015 : Hugo le mono, pièce radiophonique d’une heure pour la radio Radio.
Publication dans les revues
Java, La Grappe, La Parole Vaine, Action poétique, Nioques , Tombe tout court, Matières, Fusées, Le Miracle tatoué, Moue de veau, Prospectus, Sapriphage, TTC, le Mensuel littéraire et poétique de Bruxelles, Hygiène et santé, Complex Tri, L’art dégénéré (Al Dante), Le Jardin Ouvrier, Les Améthystes de Thyl, Ouste, Poézi Prolétèr, Quaderno, RR, Boxon, TIJA, Avis de Passage, Revue 4/5, Le Corridor bleu, Facial, Il Particolare, Revues en vue CRL Franche comté, L’Anthologie 2000 chez Farrago, Patate, Ffwl, Mission_impossible, Doc(k)s, idioei, Ec/arts, À quel titre?, Le Fram, Sezim , Dedicate, Psychopathia Sexualis, Ton Cul Pue, Proposta, Gare Maritime, Journal sous-officiel Poésie Marseille, Hapax, Talkie Walkie, GPU, Stalker, Monsieur Thérèse, Du nerf, Revue MU, QQ, Du Mou, Dé(s)générations, Parade (Bx arts Tourcoing), La Res Poetica, IF, Enculer (fiction), Revue Espace, Argos, revue Beaux arts de Tourcoing, Chais, Ceps , Grève (Nuit Myrtide) Doc(k)s, Revue Internationale des Livres et des idées (RILI), Gazette Armée noire, Freak wave, Anartiste, La Journal (Arc Musée d’art Moderne Paris), Matière à Poésie, Fractal Musik (Revue CD), Ecrivain en série - Leo Scheer, Revue éc/arts, La Revue des gens bien et pas bien du tout, Acide Picrique, Ce qui secret, Overwritting , Poésure et Sculptrie, Art et Anarchie, Kluger hans, Social-Traitre, L’Intranquille, Contre-Attaque, Vermifuge, Revue CRIEZ, Gazette Armée noire, La Nouvelle revue moderne, La vérité débraillée, Décharge, Revue Batarde, Revue l’Assaut, Gruppen , Inferno, Le goût de la radio et autre sons, S/V Limestone, Rodéo, Europe, Grumeaux, Revue Espace, Pli, Hypogée (rebue tract), Raison Basse, La Seiche, Sous vide, Ce qui secret, Invece, Vacarme, Mécanica , Bébé, Frappa, Pouest, Résonance générale, Revue Espace, Armée noire, Hildegarde, Hex, Triages, Dehors, Recueil sans abri, Desseins, Nuire, Remugle , On peut se permettre, Revue 17, VOL, Fracas, revue en ligne, Revue Laura, Téflon revue Grecque, De(s)générations, Dia a dia, Quaderno del Collage de ’Pataphysique, Teste, Hypnotisme-Le Horla, Parasite (Bizoubiz), Mon Lapin Quotidien (MLQ), Profane, Cockpit, À cause du vent, d’Ici là, Azim UT, Revue éc/artS, Ouvriers vivants (Al Dante), Maison des Atrides & cie, l’Impossible (l’Autre journal), Une Catastrophe, Arrivage Permanent, etc.
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