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« Nous sommes aveuglés par le cri du monde » – Simon-Gabriel Bonnot − poésie



Ma progéniture écarlate


Se balance sur la nuit


Chaque petite mort que j’enfante


Sort de moi et se met à chanter


Un souvenir après l’autre


Oblique vers l’amnésie


Je ne pleure plus --- mes larmes


Convergent vers un visage effrayant


Dont la forme résume ma vie


Tu arrives


Tu tournes et tu t’en vas


Ton néant est à ton image


Une tête vide sur de maigres épaules


Pas de tête du tout sur un cou saignant


Enfant-viande


Il aurait fallu que tu naisses


Débité sur le lit de fer


Pour le repas des sage-femmes


Ô ma statue vergogneuse


Qui ne montre jamais ses seins


Qu’aux orphelins du plein midi


Ma dame de grenat vert


Je t’aime telle que tu me trahis


Je te hais dans ta fidèle dérision


Je connais tes tours et tes passages


Vers des azurs de foire


La mort qui me convient


S’effeuille en pages sales


Sur chaque autel dressé la nuit


Au dos de maisons sans porte


La seule fenêtre que je sache ouvrir


La seule fable dont je puisse


Ouvrir les paupières


Aux clartés de ma face en feu ---


Deux songes ressemblants


Dans une tête écartelée


La rose de ta bouche est sertie de ronces


Tes baisers laissent sur ma peau


Des halos de meurtrissures


Je t’aime pour me déprendre de moi-même


Je veux entrer dans ton corps


Comme on change de pays


Nous fûmes tous passagers clandestins


Dans le ventre de notre mère


Lorsque nous nous arrachons


Aux muqueuses de l’origine


Nous sommes aveuglés par le cri du monde ---


Je voudrais trouver le dernier mot


Celui qui fermerait la Voix ---


Qui ouvrirait un vrai silence


Je t’écris depuis la cage de ciel bleu


Où l’on m’a enfermé il y a mille ans


Pour toi ça fait une heure


Je n’ai pas oublié ton visage


Tu restes pour moi cette pâle figure


Qui veille dans le silence


Sur le premier alphabet ---


Ton sourire m’étrangle


Ton regard me consume


Ton rêve me poignarde


Tes caresses m’écorchent


Je te chéris


Comme le condamné chérit son supplice


Je t’étreins


Comme l’agonisant de ses bras maigres


Étreint le vide qui vient


Tu es pour moi


Plus grande que la mer à son lever


Plus blême que le givre


Qui endeuille les cyprès


Tu es pour moi


La vie toujours recommencée


Dans les combes de l’angoisse


Et si je prononçais ton nom


Ma bouche s’éparpillerait


En cendres sur le silence


Je traverse la vie comme un fleuve asséché


Qui débouche sur un océan de pierres mortes


Ô néant


Tu es en moi comme l’oiseau dans sa cage


Comme le chant de l’oiseau


Dans la gorge de l’oiseau


Mes larmes ont troué le linceul de marbre


Qui recouvre la face de ma jeunesse


J’ai répandu la semaille de mes sanglots


Sur la terre stérile des cités


Sur l’asphalte des vallées


Ma parole est diurne


Comme une maison en feu dans la nuit totale


Je ne peux dire ce que le silence m’a confié


L’image d’un coeur qui s’en allait


En chancelant sur les sentes du cauchemar


Me hante --- mon corps tremble dans le vent


Je suis seul et je me décante


Au fond de mes contemplations


Toi --- que regardes-tu ?


Pourras-tu redire mon nom


Au terme du jour


Comme on allume une lampe


Au front de la mémoire mourante ?


Je me sens comme un poisson qu’on a sevré des mers


Pour le jeter en oiseau dans le désert du ciel


Nous sommes passés toi et moi


Dans les coulisses du temps


Nous portons notre vie sur les épaules


Comme deux écorchés


La peau qu’ils se sont ôtée


Trace une ligne dans le temps


Pour relier deux heures perdues


L’éternel est un charnier


Au sommet danse la lune


Et pleurent les soleils


Je cherche à tous les vents


Une chanson égarée


Ces paroles que j’avais oubliées


Sur la table du silence


Un courant d’air les a prises


La lumière du soir les a consumées


Leur cendre vit dans la mémoire du jour


Il fait nuit


J’ai peur de mourir


J’ai peur d’être mort


Sans m’en apercevoir


Entre deux instants


Séparés par des siècles


D’ombre et de silence


Je te prends dans mes bras


Comme le croque mort


Enserre sa fiancée


Taillée dans du bois de cercueil


Je t’aime sans recours


Autant que je me hais


Ton corps a une forme de mort


Je cherche tes mains au fond du vent


Ce sont feuilles échappées


À l’arbre des caresses


J’attends la fin du monde


Comme d’autres la fin de la semaine


Tout s’achèvera en une berceuse lugubre


Le sein de la fiancée


Crevé d’un trait de foudre


Son sexe de vigne vierge


Comme un buisson de sang


Les rayons du premier soleil


Confondus dans l’ombre tombante


Mes gestes et mes paroles


Une volée de flammes dans le gris des heures


Cette mort qui prend vie en moi


Un corps douloureux


Dans mon corps qui s’absente


La chair qui me remplacera sur terre


Lorsque je serai parti


Me baigner dans les bauges astrales


Je ne suis d’aucun pays dans le monde


Ma solitude a le goût d’un pain brûlé


Partagé à minuit entre mes fantômes


Si je devais me rappeler ton visage


Avant de mourir


Je verrais un cercle d’eau glacée


Où nageraient sans bruit des poissons de cauchemar


La nuit je fais semblant de tomber


Aux mains du rêve qui m’échappe


Une haleine d’enfer me chasse au-delà du monde


Vous qui venez d’une saison de néant


Entendez ma voix


Recueillez mon souffle


Rassemblez les roseaux de mon corps


En un fagot que vous coucherez


Dans le lit du feu


Tu es le silence où vont mes poèmes


Pour oublier ce dont ils parlent


Ce jardin hanté par un vent unanime


Ô toi mon ombre


Nous ne nous sommes jamais trouvés


Je dessine ta forme sur les murs


De la ville où je m’égare ---


Qui s’est égarée dans mon immobilité



Texte : Simon-Gabriel Bonnot ;

Dessin : Jacques Cauda.


Tous droits réservés.


Pour découvrir plus de textes de Simon-Gabriel Bonnot, rendez-vous sur les pages du numéro 0 de Peau Électrique.


Pour découvrir le travail de peinture et les dessins de Jacques Cauda, rendez-vous sur les pages du numéro 0 de Peau Électrique et dans la galerie « L'Univers Visuel » sur notre site.




Simon-Gabriel Bonnot, né à l’automne 1999, se consacre à la poésie depuis plusieurs années. Son premier recueil, Courir dans la chair des murs (L’Harmattan, 2016) a été publié à la veille de ses dix-sept ans ; cinq ouvrages poétiques ont suivi (La clémence du sable, Paris, L’Harmattan, coll. « Poètes des cinq continents », 2017, 74 p. ; Les barbelés de la lune, avec une préface de Nathalie Roelens, Paris, L’Harmattan, coll. « Poètes des cinq continents », 2018, 84 p. ;  À une Géographe mexicaine, Paris, L’Harmattan, coll. « Poètes des cinq continents », 2019, 112 p. ; La nuit abolie, Paris, L’Harmattan, coll. « Poètes des cinq continents », 2020, 144 p. ; Les faces chaulées, avec une préface de Luc Vigier, Paris, L’Harmattan, coll. « Poètes des cinq continents », 2020, 132 p.

Le poète est le récipiendaire du Prix de Littérature 2022 de l’Académie nationale de Metz, qui lui a été attribué pour son œuvre et particulièrement pour La nuit abolie.  Une sélection de haïkus extraits de son recueil Un vol de syrphes a été traduite en japonais par Ban’ya Natsuishi et paraîtra en avril dans la revue  tokyoïte Gyniu.   

Simon-Gabriel Bonnot est également l’auteur de textes destinés à la jeunesse et de quelques pièces de théâtre non encore publiés. En ce qui concerne l’écriture narrative, il s’est pris de passion pour la micro-nouvelle. Enfin, sa sensibilité artistique se manifeste dans la peinture et le graphisme numériques, de même que dans la photographie.



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