Ma progéniture écarlate
Se balance sur la nuit
Chaque petite mort que j’enfante
Sort de moi et se met à chanter
Un souvenir après l’autre
Oblique vers l’amnésie
Je ne pleure plus --- mes larmes
Convergent vers un visage effrayant
Dont la forme résume ma vie
Tu arrives
Tu tournes et tu t’en vas
Ton néant est à ton image
Une tête vide sur de maigres épaules
Pas de tête du tout sur un cou saignant
Enfant-viande
Il aurait fallu que tu naisses
Débité sur le lit de fer
Pour le repas des sage-femmes
Ô ma statue vergogneuse
Qui ne montre jamais ses seins
Qu’aux orphelins du plein midi
Ma dame de grenat vert
Je t’aime telle que tu me trahis
Je te hais dans ta fidèle dérision
Je connais tes tours et tes passages
Vers des azurs de foire
La mort qui me convient
S’effeuille en pages sales
Sur chaque autel dressé la nuit
Au dos de maisons sans porte
La seule fenêtre que je sache ouvrir
La seule fable dont je puisse
Ouvrir les paupières
Aux clartés de ma face en feu ---
Deux songes ressemblants
Dans une tête écartelée
La rose de ta bouche est sertie de ronces
Tes baisers laissent sur ma peau
Des halos de meurtrissures
Je t’aime pour me déprendre de moi-même
Je veux entrer dans ton corps
Comme on change de pays
Nous fûmes tous passagers clandestins
Dans le ventre de notre mère
Lorsque nous nous arrachons
Aux muqueuses de l’origine
Nous sommes aveuglés par le cri du monde ---
Je voudrais trouver le dernier mot
Celui qui fermerait la Voix ---
Qui ouvrirait un vrai silence
Je t’écris depuis la cage de ciel bleu
Où l’on m’a enfermé il y a mille ans
Pour toi ça fait une heure
Je n’ai pas oublié ton visage
Tu restes pour moi cette pâle figure
Qui veille dans le silence
Sur le premier alphabet ---
Ton sourire m’étrangle
Ton regard me consume
Ton rêve me poignarde
Tes caresses m’écorchent
Je te chéris
Comme le condamné chérit son supplice
Je t’étreins
Comme l’agonisant de ses bras maigres
Étreint le vide qui vient
Tu es pour moi
Plus grande que la mer à son lever
Plus blême que le givre
Qui endeuille les cyprès
Tu es pour moi
La vie toujours recommencée
Dans les combes de l’angoisse
Et si je prononçais ton nom
Ma bouche s’éparpillerait
En cendres sur le silence
Je traverse la vie comme un fleuve asséché
Qui débouche sur un océan de pierres mortes
Ô néant
Tu es en moi comme l’oiseau dans sa cage
Comme le chant de l’oiseau
Dans la gorge de l’oiseau
Mes larmes ont troué le linceul de marbre
Qui recouvre la face de ma jeunesse
J’ai répandu la semaille de mes sanglots
Sur la terre stérile des cités
Sur l’asphalte des vallées
Ma parole est diurne
Comme une maison en feu dans la nuit totale
Je ne peux dire ce que le silence m’a confié
L’image d’un coeur qui s’en allait
En chancelant sur les sentes du cauchemar
Me hante --- mon corps tremble dans le vent
Je suis seul et je me décante
Au fond de mes contemplations
Toi --- que regardes-tu ?
Pourras-tu redire mon nom
Au terme du jour
Comme on allume une lampe
Au front de la mémoire mourante ?
Je me sens comme un poisson qu’on a sevré des mers
Pour le jeter en oiseau dans le désert du ciel
Nous sommes passés toi et moi
Dans les coulisses du temps
Nous portons notre vie sur les épaules
Comme deux écorchés
La peau qu’ils se sont ôtée
Trace une ligne dans le temps
Pour relier deux heures perdues
L’éternel est un charnier
Au sommet danse la lune
Et pleurent les soleils
Je cherche à tous les vents
Une chanson égarée
Ces paroles que j’avais oubliées
Sur la table du silence
Un courant d’air les a prises
La lumière du soir les a consumées
Leur cendre vit dans la mémoire du jour
Il fait nuit
J’ai peur de mourir
J’ai peur d’être mort
Sans m’en apercevoir
Entre deux instants
Séparés par des siècles
D’ombre et de silence
Je te prends dans mes bras
Comme le croque mort
Enserre sa fiancée
Taillée dans du bois de cercueil
Je t’aime sans recours
Autant que je me hais
Ton corps a une forme de mort
Je cherche tes mains au fond du vent
Ce sont feuilles échappées
À l’arbre des caresses
J’attends la fin du monde
Comme d’autres la fin de la semaine
Tout s’achèvera en une berceuse lugubre
Le sein de la fiancée
Crevé d’un trait de foudre
Son sexe de vigne vierge
Comme un buisson de sang
Les rayons du premier soleil
Confondus dans l’ombre tombante
Mes gestes et mes paroles
Une volée de flammes dans le gris des heures
Cette mort qui prend vie en moi
Un corps douloureux
Dans mon corps qui s’absente
La chair qui me remplacera sur terre
Lorsque je serai parti
Me baigner dans les bauges astrales
Je ne suis d’aucun pays dans le monde
Ma solitude a le goût d’un pain brûlé
Partagé à minuit entre mes fantômes
Si je devais me rappeler ton visage
Avant de mourir
Je verrais un cercle d’eau glacée
Où nageraient sans bruit des poissons de cauchemar
La nuit je fais semblant de tomber
Aux mains du rêve qui m’échappe
Une haleine d’enfer me chasse au-delà du monde
Vous qui venez d’une saison de néant
Entendez ma voix
Recueillez mon souffle
Rassemblez les roseaux de mon corps
En un fagot que vous coucherez
Dans le lit du feu
Tu es le silence où vont mes poèmes
Pour oublier ce dont ils parlent
Ce jardin hanté par un vent unanime
Ô toi mon ombre
Nous ne nous sommes jamais trouvés
Je dessine ta forme sur les murs
De la ville où je m’égare ---
Qui s’est égarée dans mon immobilité
Texte : Simon-Gabriel Bonnot ;
Dessin : Jacques Cauda.
Tous droits réservés.
Pour découvrir plus de textes de Simon-Gabriel Bonnot, rendez-vous sur les pages du numéro 0 de Peau Électrique.
Pour découvrir le travail de peinture et les dessins de Jacques Cauda, rendez-vous sur les pages du numéro 0 de Peau Électrique et dans la galerie « L'Univers Visuel » sur notre site.
Simon-Gabriel Bonnot, né à l’automne 1999, se consacre à la poésie depuis plusieurs années. Son premier recueil, Courir dans la chair des murs (L’Harmattan, 2016) a été publié à la veille de ses dix-sept ans ; cinq ouvrages poétiques ont suivi (La clémence du sable, Paris, L’Harmattan, coll. « Poètes des cinq continents », 2017, 74 p. ; Les barbelés de la lune, avec une préface de Nathalie Roelens, Paris, L’Harmattan, coll. « Poètes des cinq continents », 2018, 84 p. ; À une Géographe mexicaine, Paris, L’Harmattan, coll. « Poètes des cinq continents », 2019, 112 p. ; La nuit abolie, Paris, L’Harmattan, coll. « Poètes des cinq continents », 2020, 144 p. ; Les faces chaulées, avec une préface de Luc Vigier, Paris, L’Harmattan, coll. « Poètes des cinq continents », 2020, 132 p.
Le poète est le récipiendaire du Prix de Littérature 2022 de l’Académie nationale de Metz, qui lui a été attribué pour son œuvre et particulièrement pour La nuit abolie. Une sélection de haïkus extraits de son recueil Un vol de syrphes a été traduite en japonais par Ban’ya Natsuishi et paraîtra en avril dans la revue tokyoïte Gyniu.
Simon-Gabriel Bonnot est également l’auteur de textes destinés à la jeunesse et de quelques pièces de théâtre non encore publiés. En ce qui concerne l’écriture narrative, il s’est pris de passion pour la micro-nouvelle. Enfin, sa sensibilité artistique se manifeste dans la peinture et le graphisme numériques, de même que dans la photographie.
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