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Traverser l'espace de la rose – Philippe Pichon – poésie lyrique




P. 45

Dans ce paysage ensommeillé seuls crient de tous leurs os les arbres morts

– mais nul ne les entend.


Tant de mots à dire sans oreille pour les entendre, tant de roses à cueillir et nulle

main pour les offrir, desséchés sont lèvres et pétales

– personne ne se voit en ce désert où nous errons.


*


P. 52


N’a de prix n’a de poids que ces mains plus légères que l’air et qui jouent les

variations sur la jeune lumière ; sur fond d’éternité la musique n’est rien que ce frisson qui

nous dépasse d’une épaule où l’on pressent l’illimité intime dès que l’un touche l’autre du

bord de son silence.


*


P. 57


Derrière lui, le souffle d’une aile ou le bruit d’un pas. Il tendit l’oreille, c’était le bruit

d’un pas. Il se retourna. La route était déserte. Silencieuse. Mais, une ombre s’allongeait à

côté de la sienne. C’était l’ombre d’une aile. Il était temps de partir.


*


P. 67


Depuis les fenêtres de l’enfance par lesquelles il était interdit de se pencher

jusqu’aux années d’errance, de désirs en déserts, de soifs en faims et de saisons toujours

jaillissantes, la route semblait sans fin. Quand si proche au dernier tournant apparut la fin

des tourments. Quelques pas encore…

*



P. 94


J’aurai beau me débattre

je n’échapperai pas au dernier coup du sort

à l’heure de ma mort,

la montre à mon poignet restera seule à battre…


*


P. 120


L’heure venue, pousser la porte du jardin, sans larme traverser l’espace de la rose et

doucement glisser de l’un à l’autre été.


   *

P. 122


C’est le soir. Les ombres de l’âge et de l’absence s’allongent sur les murs.

Tenter d’apprivoiser les derniers monstres, de les regarder de loin, d’en haut,

veilleur exemplaire qui vise la brèche de lumière, dans la muraille triste.

Tenter les songes, y pénétrer.

Occultons la pendule fausse, préférons le temps intime. Reconnaître l’étrange de la

chose frileuse, l’obscur qu’il faut gagner, l’ascèse dans le frisson de la flamme abritée.

Dresser contre l’inexorable et l’inconnu le fragile des mots.

L’ailleurs n’est qu’au-dedans de ces ombres qu’on garde secrètes au puits plus

profond que le cœur.

Cette exploration-là vaut toujours la peine, solitaire, avec la lampe de caresse qui

appelle la fable et qui luit, confiante, faible, dans la nuit noire.

On referme sa vie

comme on replie les voiles.

Les poèmes montent l’escalier, le regard remue de paroles invisibles mais

soupçonnées, et on se hisse à la terrasse où l’horizon des toits mène à cette sagesse d’aurore

pressentie jadis dans les restes de rêves malgré le maître des roses égorgé, le cri des nuits

dans la fureur des chiens, l’entrave des geôliers visible ici et là, à l’ascendante délivrance.

Mes amis réunis,

l’aurore est revenue

pour découvrir la fleur

dans l’œil bleu de la tombe.


   *


Textes : Philippe Pichon, issus de Tout est trop vaste pour les mots, collection "îlot", Siloë, 2023.

Illustration : Iren Mihaylova, Lumineux désastres, acrylique sur toile, 2024.


Pour découvrir plus de textes de Philippe Pichon, rendez-vous sur les pages de son recueil de poésie Tout est trop vaste pour les mots, collection "îlot", Siloë, 2023.


Pour découvrir le travail de peinture d'Iren Mihaylova, rendez-vous sur les pages du numéro zéro de la revue Peau Electrique en papier ou sur notre site dans la section « L'Univers Visuel »


Tout est trop vaste pour les mots, collection "îlot", Siloë, 2023 :





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