P. 45
Dans ce paysage ensommeillé seuls crient de tous leurs os les arbres morts
– mais nul ne les entend.
Tant de mots à dire sans oreille pour les entendre, tant de roses à cueillir et nulle
main pour les offrir, desséchés sont lèvres et pétales
– personne ne se voit en ce désert où nous errons.
*
P. 52
N’a de prix n’a de poids que ces mains plus légères que l’air et qui jouent les
variations sur la jeune lumière ; sur fond d’éternité la musique n’est rien que ce frisson qui
nous dépasse d’une épaule où l’on pressent l’illimité intime dès que l’un touche l’autre du
bord de son silence.
*
P. 57
Derrière lui, le souffle d’une aile ou le bruit d’un pas. Il tendit l’oreille, c’était le bruit
d’un pas. Il se retourna. La route était déserte. Silencieuse. Mais, une ombre s’allongeait à
côté de la sienne. C’était l’ombre d’une aile. Il était temps de partir.
*
P. 67
Depuis les fenêtres de l’enfance par lesquelles il était interdit de se pencher
jusqu’aux années d’errance, de désirs en déserts, de soifs en faims et de saisons toujours
jaillissantes, la route semblait sans fin. Quand si proche au dernier tournant apparut la fin
des tourments. Quelques pas encore…
*
P. 94
J’aurai beau me débattre
je n’échapperai pas au dernier coup du sort
à l’heure de ma mort,
la montre à mon poignet restera seule à battre…
*
P. 120
L’heure venue, pousser la porte du jardin, sans larme traverser l’espace de la rose et
doucement glisser de l’un à l’autre été.
*
P. 122
C’est le soir. Les ombres de l’âge et de l’absence s’allongent sur les murs.
Tenter d’apprivoiser les derniers monstres, de les regarder de loin, d’en haut,
veilleur exemplaire qui vise la brèche de lumière, dans la muraille triste.
Tenter les songes, y pénétrer.
Occultons la pendule fausse, préférons le temps intime. Reconnaître l’étrange de la
chose frileuse, l’obscur qu’il faut gagner, l’ascèse dans le frisson de la flamme abritée.
Dresser contre l’inexorable et l’inconnu le fragile des mots.
L’ailleurs n’est qu’au-dedans de ces ombres qu’on garde secrètes au puits plus
profond que le cœur.
Cette exploration-là vaut toujours la peine, solitaire, avec la lampe de caresse qui
appelle la fable et qui luit, confiante, faible, dans la nuit noire.
On referme sa vie
comme on replie les voiles.
Les poèmes montent l’escalier, le regard remue de paroles invisibles mais
soupçonnées, et on se hisse à la terrasse où l’horizon des toits mène à cette sagesse d’aurore
pressentie jadis dans les restes de rêves malgré le maître des roses égorgé, le cri des nuits
dans la fureur des chiens, l’entrave des geôliers visible ici et là, à l’ascendante délivrance.
Mes amis réunis,
l’aurore est revenue
pour découvrir la fleur
dans l’œil bleu de la tombe.
*
Textes : Philippe Pichon, issus de Tout est trop vaste pour les mots, collection "îlot", Siloë, 2023.
Illustration : Iren Mihaylova, Lumineux désastres, acrylique sur toile, 2024.
Pour découvrir plus de textes de Philippe Pichon, rendez-vous sur les pages de son recueil de poésie Tout est trop vaste pour les mots, collection "îlot", Siloë, 2023.
Pour découvrir le travail de peinture d'Iren Mihaylova, rendez-vous sur les pages du numéro zéro de la revue Peau Electrique en papier ou sur notre site dans la section « L'Univers Visuel »
Tout est trop vaste pour les mots, collection "îlot", Siloë, 2023 :
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